Quelques propos de Queneau sur le théâtre et le spectacle en général

"Mes parents m'emmenaient au théâtre, au Grand Théâtre du Havre, non pas pour le théâtre classique ou même du boulevard (bien que j'aie vu le Mariage de Mlle Beulemans1), mais pour les opéras. Les opéras-comiques, les opérettes. J'ai vu ainsi Faust, Hérodiade, Lakmé. Je n'ai guère souvenir des autres, j'étais bien jeune."2

"Rêve du 7 au 8.3.51. J'assiste à une pièce de théâtre. Madeleine Renaud assise sur une chaise au milieu de la scène écoute les reproches de Jean Gabin.
Elle l'a trahi pendant qu'il était en prison. N'arrivant plus à exprimer par des mots sa rage et son désespoir, il se met à tourner autour de la scène en faisant des claquettes. Elle, toujours assise, fait de grands gestes déclamatoires, à droite et à gauche.

Au moment où Gabin se met à faire des claquettes, un timide coup de sifflet, quelques rares applaudissements vite réprimés. Le reste ensuite se passe dans le silence."3

"La scène est rectangulaire, le ring carré, le vélodrome et le stade elliptiques ou ovales; la piste circulaire possède seule une perfection géométrique adéquate à la comédie des ours bicyclistes et à la tragédie des casseurs d'assiettes, à la tangence des trapèzes volants et à l'explosion des charivaris. De même que du haut d'une falaise on peut apercevoir, cerné par la courbure de l'horizon, le théâtre du monde sur lequel s'agitent le marin sur son navire et le paysan sur la glèbe , de même c'est le monde des merveilles et des libérations que l'on contemple lorsque l'on s'assoit sur le rivage des cirques."4

Sur le strip-tease:
"Contrairement à ce que racontent des voyageurs dégoûtés, ce spectacle n'est nullement monotone, car le thème, d'une pureté toute classique, en est tellement simple, tellement dépouillé, si j'ose dire, qu'une artiste consciencieuse doit faire appel à toutes les ressources de son talent pour se montrer à la hauteur de l'idée qui l'inspire."5

"Ce matin, je suis allé à la messe. Bien vu les gestes du prêtre, qui officiait avec q(uel)que ferveur"6. "Hier matin: St-Front. Messe dans la cathédrale. Je trouve ce style roman et basilical admirable. Je médite sur les petites fenêtres pratiquées dans les coupoles. Belle musique d'orgue. Gestes du Prêtre. Danses et rites."7

1"Le Mariage de Mlle Beulemans est une pièce en trois actes de Frantz Fonson et Fernand Wicheler (1910)" (note de Claude Debon, Oeuvres complètes, Gallimard/Pléiade, p. 1619.
2 Souvenirs inédits, Oeuvres complètes, Gallimard/Pléiade, p. 1082.
3 Journaux 1914-1965, Gallimard, p. 1069.
4 Raymond Queneau, XXIIème Gala de l'Union des Artistes, Cirque d'Hiver, 23 février 1952 (cité dans Les amis de Valentin Brû n° 9, p. 4).
5 Cité par Lanie Goodman, in "New York bâille naïte", Temps mêlés Documents Queneau n° 150+33-36, p. 194.
6 Journaux 1914-1965, Gallimard, p. 471.
7 Ibid. p. 487.

"Parade sur la place Rouge. Le défilé militaire est formidable, kolossal. Orchestre de 1200 exécutants - avec des hérauts porteurs de longues trompettes moyenâgeuses. Joukov dans une super-Zim ou Zis. Hourrahs . Défilé des sportifs et sportives très réussi . Puis les civils , porteurs de portraits (pas un Staline), de ballons rouges, de bannières, de fleurs en papier, etc."8

"D - Que pensez-vous du théâtre? R - Pas grand-chose.
D - Mais encore?
R - Je n'aime pas le théâtre. Cela me paraît un faux jeu. (...) Le cinéma c'est tout à fait différent, parce que c'est précisément un vrai jeu; c'est une chose qui se passe sur une toile; c'est essayer de rendre la vie sur un drap blanc.
D - Et le cirque?
R - C'est agréable. C'est très joli. (...)
D - Êtes-vous badaud?
R - Oui, naturellement, je suis badaud. (...)
D - Au cinéma dans le noir, vous voyez et on ne vous voit pas.Tandis qu'au théâtre, on est vu, tout au moins pendant les entr'actes.
R - Au théâtre les entr'actes sont abominables". 9

"Je ne me crois pas exhibitionniste, mais: autrefois, j'étais fort timide, tout en pensant toujours qu'on me regardait admirativement (en quoi je devais fort me tromper). Il en est toujours un peu de même d'ailleurs. D'autre part, dans un milieu donné, une société, je ne me montre guère; il faut qu'on me découvre." 10
"Il faudrait faire aussi un index pour: Père, Mère, Théâtre, Cinéma, Acteur - ces trois derniers en relation avec le complexe spectaculaire."11

"S'il y avait eu des ouvroirs de littérature potentielle dans le temps jadis, ils auraient pu proposer aux écrivains de leur temps l'alexandrin ou le sonnet ou la tragédie en cinq actes avec les trois unités. (...) Rien de plus artificiel que la tragédie en cinq actes avec les trois unités" .12

"Le classique qui écrit sa tragédie en observant un certain nombre de règles qu'il connaît est plus libre que le poète qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui est l'esclave d'autres règles qu'il ignore."13

8 Ibid. p. 934.
9 Émission radiophonique Qui êtes-vous?, diffusée le 26 novembre 1949. Cité par Claude Rameil, La TSF de Raymond Queneau, Éditions du Limon, p. 60-61.
10 Journaux 1914-1965, Gallimard, p. 235.
11 Ibid. p. 245.
12 Entretiens avec georges Charbonnier, Gallimard, p. 140.
13 Le voyage en Grèce, Gallimard, p. 94.

"L'avenir n'existe pas pour moi. Je suis très imprévoyant. Je n'aime pas aller au théâtre parce qu'il faut louer ses places. Quelquefois, à la rigueur, j'y vais parce qu'on en a loué pour moi. Si on a déjà loué ma place pour voir éclater la dernière bombe sur le grand théâtre du monde, pourquoi pas. Mais on nous aura dérangé pour peu de chose si la sortie coïncide avec le lever du rideau."14

"Je n'aime pas beaucoup l'opéra"15

"Le cinéma me demeure mystérieux. J'ai essayé de faire des scénarios, je n'arrive pas à les développer sur le plan mélodique, comme tu dis. Au théâtre, c'est la même chose. Chaque fois que j'ai voulu écrire une pièce, c'était du Pirandello. Enfin, je veux dire que ça y ressemblait terriblement. (...) Il y a des gens polis qui veulent me faire des compliments en me disant que j'ai un bon dialogue et que je devrais faire du théâtre. Je crois que ce n'est pas vrai du tout."16

"Les personnes qui m'ont conseillé de faire du théâtre se trompent."17

"C'est à partir du moment où il fait travailler les autres que l'intellectuel devient riche. Exemple: l'auteur dramatique."18

"Magnifique, les militaires. Que deviendra-t-on lorsqu'il n'y aura plus de défilés militaires? Que sont devenus les gens lorsqu'il n'y a plus eu de jeux du cirque?"19

"La Société est un théâtre: les gens savent plus ou moins bien leurs rôles (banal, mais jamais sérieusement développé) (archi-banal même, mais il pourrait y avoir une façon de développer qui ne le soit pas)."20

"Il n'a jamais cessé de rire en entendant lire ou jouer ses propres oeuvres. Le premier témoin que nous convoquons, c'est Boris Vian. Il déclare dans le Manuel de Saint-Germain-des-Prés : À la première des Exercices de style montés en 1949 à la Rose Rouge par Yves Robert et interprétés par les Frères Jacques, tout le monde se retournait pour voir qui riait si fort ; c'était Raymond lui-même pris à son propre jeu. Personnellement , j'ai assisté au T.N.P. à côté de Queneau à l'une des répétitions de Loin de Rueil , comédie musicale de Roger Pillaudin et de Maurice Jarre pour la musique, adaptée du roman. J'atteste qu'à chaque scène désopilante (le roman en contient plusieurs, et Pillaudin les a saupoudrées d'un surcroît de rigolade), Queneau riait intensément."21

14 Bâtons, chiffres et lettres, Idées/Gallimard, p. 46.
15 "Paroles sur la musique", RTF, 1961, citées par Claude Rameil, La TSF de Raymond Queneau, Éditions du Limon, p. 138.
16 "Entretien Queneau-Vitrac", ibid., p. 90.
17 Paul Gayot, Queneau, Classiques du XXème siècle, Éditions universitaires, p. 30.
18 Journaux 1914-1965, Gallimard, p. 835.
19 Ibid. p. 357.
20 Ibid. p. 1039.
21 Noël Arnaud, L'oecuménisme de Raymond Queneau, in Petite bibliothèque quenienne n° 7, CIDRE, p. 35-36.